«
Quel être peut-être assez horrible pour faire pareil massacre ? »
L’inspecteur n’en revenait pas. Jamais de sa carrière il n’avait vu tant de sang et tant de morts. Il observa les hommes qui marchaient parmi les cadavres à la recherche d’un quelconque survivant. Il entendit soudain un sanglot, il s’approcha du mur pour y apercevoir la silhouette fine et svelte d'une jeune femme, elle était belle, et couverte de sang. Pour la première fois, le policier se prit à comprendre le criminel, elle était vraiment belle… Il se pencha vers cette jeune femme, qu’elle semblait pâle. Ses cheveux était châtains, il paraissait presque blonds à la lumière du jour. En se mettant à sa hauteur, il posa une main sur son épaule. Quand elle releva un minois d’ange barbouillé de sang, il crut que son cœur battait si fort contre sa cage thoracique qu’il allait sortir de sa poitrine.
«
Ca va aller maintenant mademoiselle… »
Elle le regardait hagarde, ses yeux noisettes légèrement écarquillés d’horreur, de peur et de surprise dans un cocktail d’inquiétude touchant. Sa lèvre inférieure, couverte de sang trembla, détruisant tout en lui. Si belle… Si fragile… Si perdue… Il ne put s’empêcher de la prendre dans ses bras. Le timbre de sa voix le fit frissonner. Il comprenait trop bien pourquoi l’homme avait pu la violer puis l’épargner. Pourtant, ce qu’elle lui murmura sonna faux à ses tympans :
«
Je suis désolée… »
* * *
Il n’en revenait toujours pas alors qu’il l’observait dans le rétroviseur. Elle avait été manipulée pour dire avoir tué tous ses gens, ça n’était pas possible autrement. Elle s’était laissée faire, un de ses hommes avait apporté une couverture dans laquelle elle s’était enroulée. Elle n’avait pas dit un mot en dehors de ses aveux et il avait bien vu que personne dans l’équipe n’avait mis de cœur dans cette arrestation qui était de loin la plus surprenante de la totalité de sa carrière. Il se souvenait de son regard, de la terreur qu’il y avait lu… Mais les règles étaient les règles, il fallait l’emmener au poste.
Sur la banquette arrière, le menton baissé Grâce Lewis, prénommée Mary depuis un peu plus d’un siècle avait repliée ses épaules sur elle-même. Comme toujours quand elle tuait que ce soit une ou cinquante personnes, elle s’en voulait terriblement. Il n’était pas dans sa nature première d’être violente. Ni même méchante. Elle détestait la cruauté de sa condition à laquelle même après bientôt deux siècles elle ne s’était toujours pas faite. Elle était un monstre… Un monstre ! Elle se détestait et chaque jour qui se levait lui rappelait un temps où elle était heureuse à l’aube de sa vie. La nostalgie pesait sur son cœur alors que le soleil se levait lentement. Son ancienne vie lui manquait… Que les humains étaient ridicules d’avoir ainsi peur de la mort. La vie était bien plus cruelle quand elle devenait éternelle et source de tant de malheurs, de douleurs et de souffrances. Elle ne s’y ferait sans doute jamais. Le temps lui avait déjà permis de se résigner, il ne fallait pas beaucoup espérer plus de lui. Mais même si elle ressemblait en tout à une adolescente normal, une part d’elle restait en Décembre 1839…
Dès dans la salle d’interrogatoire, seul avec elle, il la contempla à nouveau, même si elle était coupable, jamais il n’avait vu quelqu’un regretter autant un quelconque geste. Elle lui brisait le cœur alors qu’elle culpabilisait de tout le mal qu’elle avait fait. Il n’osa pas poser la moindre question tout d’abord, la regardant dans les yeux, la fixant… Puis après un soupire, il coupa le magnétophone posé sur le bureau pour venir s’asseoir à côté d’elle.
«
Si pour commencer vous me disiez votre nom ? »
-Je m’appelle Grâce Mary Prudence Lewis de Dorset. »
La voix de la victime présumée et seule survivante du massacre n’avait était qu’un souffle, qu’un murmure mais cela n’empêcha pas l’homme à ses côté d’être comme foudroyé.
«
Pardon ? »
Cette voix si douce et envoutante avait eu raison de l’inspecteur qui toutefois avait bien compris ce qu’elle venait de dire et qui n’en revenait pas. Lorsqu’à sa demande, elle se répéta, ses yeux s’écarquillèrent. La jeune femme ne semblait pas s’impatienter un instant. En réalité, Grâce avait vu en cette homme quelqu’un qui serait capable de l’écouter et cela tombait bien, elle avait besoin de parler après pas loin de deux siècles de solitude et de peur. Consciente du trouble du policier, elle ajouta toutefois.
«
Mais appelez-moi Mary Lewis, je vous en prie… »
L’homme opina, il hésita à griffouiller sur son bloc-notes avant de soupirer légèrement et de le poser sur le bureau. Il la regardait, la contemplait, on aurait pu croire à un artiste détaillant les courbes de son modèle pour mieux les reproduire. Mais il y avait une chose que jamais un sculpteur, un peintre ni même un photographe ne pourrait reproduire dans toute sa splendeur, il s’agissait de ses yeux. Ses yeux à la fois noisettes et sombres, vifs et doux qui semblaient l’ensorceler. Il ne parvenait pas à défaire son regard de celui de la jeune femme qui venait de lui révéler son identité. Toutefois, en inspecteur de police rodé à son métier, il cacha son admiration de son mieux pour lui dire d’une voix à la fois grave et maternelle.
«
D’où venez-vous mademoiselle Lewis ? Mes hommes vont vous raccompagner chez vous. Cet endroit n’est pas un lieu pour vous… »
Il était déjà sur le point de se lever quand la réponse de la jeune fille le coupa dans son mouvement.
«
De Londres. »
Le policier manqua perdre toute contenance à cette réponse. Qu’est-ce qu’une aussi belle londonienne pouvait bien faire en plein cœur de l’état de Virginie aux États-Unis ? Il la regarda d’un œil neuf, curieux et interrogatif alors que les questions commençaient à se bousculer dans son esprit. Qui était cette fille ? Que faisait-elle là ? Que lui était-il arrivé ? Pourquoi… ? La main douce de la demoiselle sortant de la couverture pour se poser en toute légèreté sur son bras le fit sourire, ce contact était si apaisant. Et sa voix ne le fut pas moins.
«
Permettez que je vous raconte mon histoire… Ne m’interrompez pas, je vous en prie… Je vais tout vous dire... »
L’inspecteur fronça légèrement les sourcils en pinçant les lèvres, il avait d’avantage l’habitude de poser les questions et de recevoir des réponses courtes qu’un monologue. Mais cette fille attisait sa curiosité, aussi obtempéra-t’il et tourna t’il sa chaise davantage vers elle pour lui faire un peu plus face bien qu’elle ne sembla pas bouger.
«
Je vous écoute. »
Elle lui adressa un sourire poli, baissa les yeux avant de commencer d’une toute petite voix.
«
Je suis née en plein milieu de l’après-midi du 19 août 1821, à Londres dans la demeure familiale de mes parents où était justement venue nous voir Alexandrine Victoria alors âgée tout juste de deux ans et sa mère Victoria de Saxe-Cobourg-Saalfeld. Ma mère était Sarah Lewis de Dorset et mon père, son époux Edward Lewis de Dorset. J'était leur troisième enfant. La seule fille. Et je fut la dernière. La jeune princesse en se penchant sur mon berçant avant même que je n'ais ouvert les yeux a scellé mon destin. Je passa mon enfance avec elle malgré le système de Kensington… »
Le policier avait écarquillé les yeux, avait voulu l’interrompre mais se souvenant avoir dit qu’il ne l’interromprait pas et parce que sa voix la berçait, il la laissa continuer de sa voix voluptueuse qui aurait envoûté son reflet. Il l'écoutait.
«
Notre enfance ne fut pas des plus joyeuse mais nous nous y sommes ensemble habituées. Nous dormions dans la même chambre. Nous suivions les mêmes leçons. Nous aimions les mêmes choses. Allions à l’opéra une fois par semaine. Jouions des morceaux de piano à quatre mains… »
La nostalgie s’entendait dans sa voix alors qu’elle repensait à tous ses bons moments passés avec celle qui ensuite était devenue la Reine Victoria. Elle sourit doucement en baissant les yeux tout en continuant.
«
Plus les années passées et plus nous étions proches, nous partagions le moindre secret, le moindre instant de la journée… Et un jour, pour son bonheur le plus absolu, Albert de Saxe-Cobourg-Gotha arriva sur le sol britannique et se présenta à elle, j'avais alors quinze ans. Il faut dire qu’il était charmant. Et son ami aussi… »
La jeune femme avait fermé les yeux en se souvenant de ce moment si où elle avait commencé à dire adieu à son humanité. L’inspecteur pinça ses lèvres, posa une main pleine de sollicitude sur son dos bien qu’après une courte hésitation pour l’encourager à reprendre, ce qu’elle fit.
«
Mais cet ami était un vampire, je l’appris à mes dépends. Un jour, il me fit boire son sang… Trois en plus tard, un jeune homme voulut tuer ma reine. Je me suis interposée entre la balle et Victoria… Je suis morte. C’était froid… Douloureux… Puis tout à coup, j’ai rouvert les yeux. Il faisait noir… Alors je suis sortie. Sortie de mon tombeau… J’ai tué pour la première fois cette nuit-là… Mais je ne le voulais pas… Je voulais juste retrouver Victoria… Consciente que cela était impossible. Je suis partie… Voilà mon histoire… »
L’inspecteur la regarda, calme.
«
Et que comptez-vous faire à présent mademoiselle Lewis ? »
Mary comme elle se ferait dorénavant appelée pour ne pas souffrir du souvenir de Victoria le regarda.
«
Je voulais gagner Mystic Falls… Mais je n’en suis plus digne… »
L’homme fronça les sourcils.
«
Foutaises. Venez, je vais vous conduire. »
Il l’aida à se lever, quitta le poste avec elle, lui ouvrit la portière de sa voiture personnelle avant de se mettre derrière le volant et de tourner la clé dans le compteur.
* * *
Après des heures de routes, Mary vit enfin le panneau indiquant qu’ils arrivaient à Mystic Falls. Elle se redressa aussitôt pour voir les maisons et les bâtiments. Ils passèrent devant un restaurant, un hôtel, de nombreuses habitations avant qu’ils ne s’arrêtent devant le lycée comme elle le lui demanda d’une toute petite voix. En effet, le jour était déjà levait et de nombreux jeunes se pressaient déjà pour se rendre dans leurs salles respective. Elle avala sa salive avant que l’inspecteur ne pose une main sur son épaule avec douceur.
«
J’ai le sac de ma fille dans le coffre, elle fait à peu près votre taille. Je vais vous le chercher. »
Angoissée et rassurée par la présence de cet homme, elle manqua le rattraper alors qu’il refermait la portière derrière lui. Se dirigea vers le coffre qu’il ouvrit. Elle se sentit obligée de se retourner pour s’assurer que ce soit bien lui. Il lui sourit et son sourire, elle le lui rendit. Le coffre claqua en la faisant sursauter alors que le policier revenait s’asseoir à sa place lui tendant le sac.
«
Tenez mademoiselle. Choisissez ce que vous préférez. Ma fille ne se rendra compte de rien.
-Merci beaucoup… »
Grâce ne fut pas longue à se décider. Elle trouva en effet un pantalon slim noir qui semblait tout à fait à sa taille, un tee-shirt moulant au col baillant très élégant de couleur aubergine et une paire d’escarpin à talon en cuir brun avec naturellement des sous-vêtements que nous ne décrirons pas par soucis de morale. L’inspecteur lui sourit en lui faisant signe de passer sur la banquette arrière pour se changer, lui promettant qu’il ne regarderait pas. Une fois habillée, elle repassa à l’avant ou l’homme sourit en lui proposant tout d’abord une brosse, qu’elle puisse se recoiffer un peu avant de lui tendre plusieurs bracelets, un large en cuir clair, une chainette en argent, une montre discrète au cadran à aiguilles lavande, et deux rubans à motif. Il lui tendit alors un collier. Chaîne d’argent à laquelle était suspendu un oiseau couvert de petites pierres précieuses. Elle lui sourit touchée en lui sautant au cou dans un surplus d’émotion. Il l’entoura de deux bras protecteurs avant qu’elle ne s’écarte de lui et qu’il lui tende une paire de lunette à gros verre qu’elle mit sur sa tête.
«
Je vais t’accompagner. Qu’on ne pose pas de question sur ton inscription. »
Il était passé au tutoiement sans y penser et cela ne la troubla nullement. Elle ouvrit sa portière en posant un pied sur le sol, descendant du véhicule en attirant certains regards. Les nouvelles têtes dans les petites villes sont vite remarquées. Le policier en savait quelque chose et lorsqu’il arriva à sa hauteur après avoir fermé sa voiture et en avoir fait le tour, il posa sur ses épaules une veste en cuir noir légèrement cintrée. Ils entrèrent ensembles dans le lycée et se rendirent directement à l’accueil pour remplir les formulaires d’inscription. Une fois la chose faite. La secrétaire, une femme aigrie et peu agréable interpela un élève pour qu’elle l’accompagne à sa salle de cours. Les adieux entre l’inspecteur et sa protégée furent touchants mais il lui promit de revenir la voir pour prendre de ses nouvelles et l’aider à trouver un endroit où loger autre que l’hôtel. De plus, il lui donna le sac de sa fille et de l’argent.
«
Merci pour tout. » murmura-t’elle avant qu’il ne tourne les talons et ne disparaisse à l’angle d’un couloir, la laissant figée, anxieuse ; L’élève ne sachant que faire regarda autour d’elles à la recherche d’aide.